Dans les pas des « speedrunners » qui le finissent en moins d’une heure


Il faut bien une soixantaine d’heures – voire le double si l’on est un incorrigible flâneur – pour arriver au générique de fin de The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, le jeu vidéo phénomène de Nintendo sorti le 12 mai. Mais pour les meilleurs « speedrunners », ces joueurs qui se posent comme défi de terminer les jeux vidéo le plus vite possible, moins de soixante minutes suffisent.

Il est 21 heures, ce 15 juin, quand Romain, alias Roms_abt, tente pour la cinquième fois de la journée d’en venir à bout en moins d’une heure, trois secondes et cinquante-trois centièmes – record établi deux jours plus tôt dans la catégorie reine du sprint pur, appelée « Any % ». « Si je joue bien, ça peut “WR” [world record, record du monde] », lance le Lorrain de 22 ans au début de la partie, qu’il retransmet en direct sur sa chaîne Twitch.

Filmé par sa webcam, plutôt décontracté, l’étudiant en master de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) chantonne les thèmes du jeu et répond aux messages publiés dans le tchat. Les déplacements et les coups du personnage, eux, sont exécutés à l’image et au pixel près. Car comme dans un 100 mètres olympique, une seconde gagnée sur une partie, appelée « run » (course), peut suffire à départager deux candidats.

« Le speedrun, c’est énormément d’entraide »

Mais la virtuosité ne suffit pas pour les speedrunners, devenus maîtres dans l’art de la détection de bugs qui leur permettent de prendre des raccourcis, de transformer des objets ou d’altérer la physique de l’univers graphique. En tirant parti de plusieurs « glitchs » à des moments cruciaux, ils accélèrent leur trajet dans le gigantesque monde ouvert d’Hyrule ou trouvent les armes les plus adaptées pour battre les « boss » de fin en quelques coups.

Parmi la série de bugs exploités par Romain ce jour-là, il y a, par exemple, « Skip Descent » (ou « Springboard Clip »). Pour un non-initié, la manipulation est spectaculaire : on le voit interagir avec un ressort à la vitesse de l’éclair, ouvrir des menus en cascade, utiliser un pouvoir du personnage, se jeter sous un escalier puis surfer sur son bouclier… Le tout permet à Link, le personnage principal du jeu, de passer à travers le sol et de plonger dans une zone vide, des « coulisses » du jeu en quelque sorte, et d’atteindre dans un temps record et armé jusqu’aux dents l’épreuve ultime : le combat contre le maléfique Ganondorf et ses sbires. Quelques minutes plus tard, le Lorrain lève les bras en l’air. Au terme d’une traversée express d’une heure, trois secondes et huit centièmes, il prend la tête du classement de speedrun.com, le site de référence.

Romain, dans la vignette en haut à droite, passe à travers le décor de « Tears of the Kingdom » grâce à un bug.

« Les qualités de Roms ? Sa rigueur et sa régularité. On voit bien qu’il va chercher un truc constant, des repères précis, et qu’il s’entraîne avant de lancer les parties. C’est comme ça que ça marche, il n’y a pas de secret », analyse Erwan, alias Arna, un speedrunner français de 17 ans. « Le mental compte plus que les compétences », ajoute Flavien, alias FlavienSR, un Isérois du même âge.

Impossible, toutefois, de repousser les limites du jeu en faisant cavalier seul, insiste Romain : « Ceux qui “runnent” ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui cherchent les bugs ou ceux qui vont imaginer les trajets les plus rapides. Le speedrun, c’est énormément d’entraide. » Les trouvailles et les conseils s’échangent principalement dans des vidéos tutorielles sur YouTube ou via la plate-forme Discord, où les meilleurs Français, comme Roms_abt, Echecetdame, Qentiko ou FlavienSR, se serrent les coudes sur un canal francophone.

Capture d’écran de « Zelda : Tears of the Kingdom ».

La validation des temps sur speedrun.com, elle aussi, est communautaire. « Nous utilisons un logiciel pour vérifier le nombre d’images par seconde et recompter le temps », explique Rebecca, qui fait partie des 18 personnes en charge de l’homologation des temps sur Breath of the Wild, le Zelda qui a précédé Tears of the Kingdom. « J’aime voir arriver des nouveaux dans la communauté puis constater les améliorations de leurs scores », détaille l’étudiante chinoise de 24 ans. C’est aussi un moyen de découvrir de nouveaux trucs. »

« Chaque semaine, on voit arriver de nouvelles stratégies »

Dans ce milieu collaboratif, le nouvel épisode génère aussi des crispations. Nintendo a en effet corrigé des bugs, si bien que ceux qui ont une console « à jour », comme Romain (qui confie avoir lancé l’installation par erreur), ne peuvent plus les utiliser. Résultat : il ne peut plus rivaliser avec les coureurs qui, eux, ont bloqué leur jeu dans une des versions antérieures.

Le Monde

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Speedrun.com a donc divisé les classements en deux sections parallèles. La plus visible est dédiée à la nouvelle version, la « 1.1.2 », qui date du 25 mai. Un autre onglet ramène vers le classement sur les versions antérieures, où les temps sont plus bas et la participation plus élevée. Cette inégalité des concurrents nuit à l’accessibilité du speedrun, déplore Flavien. « Si demain, il y a des nouveaux qui viennent et qu’ils ont déjà fait des mises à jour, ça va les démotiver », rappelle celui qui concourt sur Breath of the Wild depuis 2019 soit deux ans après sa sortie.

Sur le site Speedrun.com, le tableau des résultats est divisé entre ceux qui n’ont pas mis leur jeu à jour (pre v1.1.2) et ceux qui ont téléchargé les « patchs » (« Latest »), montrés ici. Tableau actualisé le 26 juin.

Reste que la passion des speedrunners pour Zelda est loin de se tarir. Sorti il y a cinq ans déjà, Breath of the Wild a enregistré un nouveau record de vitesse au mois de mai. Cet opus se plaçant régulièrement en tête des classements des meilleurs jeux vidéo de tous les temps, son successeur, Tears of the Kingdom, s’est logiquement imposé comme le nouveau challenge en vogue pour cette vaste communauté.

Il n’est toutefois pas au goût de tous. La magie n’a pas opéré sur Erwan, qui n’apprécie pas les trente premières minutes passées dans la zone introductive pour récupérer les pouvoirs fondamentaux du personnage. S’il regarde d’un œil averti les performances de ses camarades, il est revenu à son jeu de cœur, Breath of the Wild, qu’il termine désormais en vingt-cinq minutes et trente secondes.

Flavien, lui, se laisse du temps : « Chaque semaine, parfois chaque jour, on voit arriver de nouvelles stratégies. Tant qu’on n’a pas une route stable que je pratiquerai assez longtemps, je ne pourrais pas dire si c’est mon speedrun préféré ou non. » Il ne se prive pas pour autant d’affoler les compteurs : lundi, il a bouclé un trajet en cinquante-huit minutes et quinze secondes, un nouveau record du monde. Les soixante-trois minutes de Romain, applaudies onze jours plus tôt, semblent déjà bien loin.



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